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Une nuit parfaite au cœur des Cévennes

13 février 2020 - Philippe Deverchère

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L’image ci-dessus prise en 2018 dans les Cévennes (mais pas la nuit concernée par cet article) montre que la Voie Lactée (au centre) est plus lumineuse que le fond de ciel.

La nuit du 2 au 3 août 2019 a été une nuit comme on en voit rarement, même au cœur du Parc National des Cévennes. Au lieu dit L’Aire-de-Côte sur la commune de Bassurels, à l’Est du Mont Aigoual et dans la partie sud de la zone cœur du Parc National, un système Ninox a réalisé un enregistrement de la luminance du fond de ciel au zénith que l’on peut qualifier de “parfait” cette nuit là. La Lune, avec une phase de 5%, était absente durant quasiment toute la nuit, il n’y a eu aucun passage nuageux et surtout la qualité du ciel était excellente avec une très bonne stabilité de l’atmosphère, un faible taux d’humidité et une faible charge aérosol.
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La figure ci-contre montre le résultat des mesures de luminance réalisées la nuit du 2 août (une mesure de la luminance du fond de ciel au zénith toutes les minutes). L’heure sur l’axe horizontal est exprimée en Temps Universel et la luminance du fond de ciel au zénith sur l’axe vertical est exprimée en mag/arcsec2 (cette luminance est appelée NSB pour Night Sky Brightness).

On voit sur le diagramme le coucher de la Lune un peu avant 20h30 TU (ligne verticale orange en pointillés) et la luminance décroître régulièrement lors du coucher du Soleil jusqu’à atteindre un niveau stable au moment du crépuscule astronomique lorsque le Soleil est à -18° sous l’horizon (ligne verticale grise en pointillés).

On peut constater que la courbe de NSB est bien lisse, ce qui indique que les conditions météo étaient très bonnes et sans passages nuageux.

Si la nuit avait été uniformément sombre et sans source de pollution lumineuse proche, on aurait pu s’attendre à obtenir une courbe bien plate en cœur de nuit. Or, on peut observer que durant la nuit la courbe ondule légèrement avec une montée progressive jusque vers 22h30 TU (le fond de ciel au zénith devient un peu plus brillant), un petit plateau autour de 23h00 TU, une reprise de la montée jusque vers 00h30 TU et enfin une diminution progressive en fin de nuit (le ciel devient à nouveau plus sombre). 

Quelle est l’origine de ces variations ?

3 Modélisation

Il s’avère qu’elle sont dues... à la Voie lactée ! Durant cette période de l’année, la région du Cygne, en pleine Voie lactée, passe au zénith en milieu de nuit. Afin de visualiser la contribution de la Voie lactée à la luminance du fond de ciel, nous allons représenter la position de cette dernière par rapport au zénith à quelques instants clés sur la courbe. Sur la figure ci-contre (ou ci-dessus), nous avons étiré l’échelle de NSB de manière à bien faire apparaître les variations de la luminance (les petites “marches d’escalier” sont dues à la capacité d’échantillonnage du capteur) et nous avons représenté les heures pour lesquelles nous allons regarder la position de la Voie lactée par rapport au zénith.

Les figures ci-dessous montrent la position de la Voie lactée aux différentes heures considérées. Le zénith est représenté par une croix jaune, le méridien est représenté en vert et le champ de mesure du système Ninox (de 20°) est représenté par le cercle rouge. Ces cartes ont été réalisées avec le logiciel C2A. Vous pouvez utiliser la molette de votre souris ou bien les flèches du clavier pour naviguer entre les images après avoir sélectionné la première.

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Les variations de la luminance sur la courbe de NSB peuvent être expliqués en constatant que :

  • A 21h30 TU, le ciel est au plus sombre car la Voie lactée n’est pas encore rentrée dans le champ du Ninox ;

  • A 22h00 TU, la Voie lactée commence à entrer de manière significative dans le champ et la luminance commence à monter ;
    Un peu avant 23h15 TU, la croissance de la luminance s’est stabilisée car la zone sombre de poussière près de l’étoile Deneb (qui est l’étoile brillante à droite de la zone de poussière) est maintenant bien entrée dans le champ. Cette zone de poussière interstellaire qui coupe la Voie lactée en deux dans le sens de la longueur est appelée le “grand Rift” ;

  • A 00h00 TU, la partie la plus brillante de la Voie lactée dans la région du Cygne (juste au-dessus de Deneb, avec en particulier NGC 7000, la nébuleuse de l'Amérique du Nord) est juste au centre du champ, et on atteint le maximum de luminance ;

  • A 01h30 TU, la Voie lactée commence à sortir du champ et la luminance décroît ;

  • A 02h20 TU, il ne subsiste qu’une partie relativement peu brillante de la Voie lactée dans le champ et, sans atteindre le niveau du début de nuit, la luminance est maintenant plus basse avant de remonter avec le lever du Soleil.

Le niveau de NSB le plus élevé en début de nuit (ciel le plus sombre) est mesuré à 21,66 mag/arcsec2 et le niveau le plus élevé à 00h00 TU est mesuré à 21,47 mag/arcsec2. Cela représente donc une différence de 0,19 mag/arcsec2, ce qui est tout à fait notable pour des conditions de ciel sombre. On voit donc que, pour des sites de qualité peu impactés par la pollution lumineuse, il est important de prendre en compte la position de la Voie lactée pour bien caractériser la qualité du ciel.

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