3 février 2023 - Philippe Deverchère
Selon l’article, la raison principale qui expliquerait ce décalage entre les observations satellite et la perception du ciel par l’œil humain est liée au fait qu’au cours de la dernière décennie une part importante des systèmes d’éclairage a été convertie vers des technologies à base de composants LED qui ont généralement leur pic d’émission dans la partie bleue du spectre (entre 400 et 500 nm). Cette conversion est problématique pour 3 raisons :
Les courtes longueurs d’onde sont diffusées plus efficacement par l’atmosphère (c’est d’ailleurs pour cette raison que le ciel diurne est bleu : la partie bleue de la lumière solaire est mieux diffusée depuis toutes les directions). Cela veut donc dire qu’une source de lumière localisée sera moins visible depuis l’espace si son spectre est décalé vers le bleu. Le satellite observera donc une radiance diminuée depuis l’espace ;
L’instrument VIIRS/DNB embarqué dans les satellites n’est pas sensible à la partie bleue du spectre. A énergie équivalente, si une proportion plus importante de la lumière émise dans l’environnement nocturne se situe dans la partie bleue du spectre, le satellite observera là encore une radiance diminuée depuis l’espace ;
La vision scotopique humaine (qui est la vision dans un environnement avec de faibles niveaux de lumière qui mobilise les bâtonnets de la rétine plutôt que les cônes) est plus sensible à la partie bleue du spectre. Cela veut dire que le halo visible par l’œil sera d’autant plus important que la composante bleue de la lumière émise est importante, du moins à courte et moyenne distance.
Une fois ce constat réalisé, il faut cependant remarquer que plusieurs autres phénomènes rendent complexe l’analyse d’une corrélation entre la visibilité de la radiance depuis un satellite et la perception du halo par l’œil humain depuis le sol :
La fraction de lumière bleue présente dans le spectre d’émission des LED est extrêmement variable selon la température de couleur utilisée : 0% dans les LED ambrées, 5 à 7% pour les LED de température de couleur entre 2200 et 2400K, environ 10% pour les LED 2700K, environ 14% pour les LED 3000K et plus de 50% dans les LED avec une température de couleur supérieure à 5000K. On peut donc considérer que le biais lié au manque de sensibilité du détecteur VIIRS/DNB dans la partie bleue du spectre est réduit lorsque les systèmes LED installés ont une température de couleur basse. Cela est spécialement le cas dans les pays qui appliquent une législation sur les températures de couleur (ce qui est maintenant le cas pour la France où la température de couleur des nouvelles installations est limitée à 3000K).
La conversion des éclairages extérieurs vers les technologies LED s’accompagne en général d’une diminution des flux émis au-dessus de l’horizontale, i.e. le luminaire possède un ULR (Upward Light Ratio) faible (ou tout du moins plus faible que celui du luminaire qu’il remplace) qui limite la fraction du flux mal dirigé. Un point lumineux avec un ULR de l’ordre de 3% ne contribuera que faiblement à la radiance vue depuis l’espace mais il pourra malgré tout contribuer à la création du halo puisque le flux émis horizontalement ou juste au-dessus de l’horizontale est largement diffusé, spécialement dans la partie bleue du spectre ;
La lumière à forte composante bleue est plus efficacement diffusée par l’atmosphère. Cela veut donc dire qu’à puissance égale une telle lumière va plus efficacement contribuer à la création du halo au moins aux courtes échelles. Par contre, à des échelles plus grandes, on peut s’attendre à ce que le halo soit un peu moins important justement du fait d’une diffusion et d'une absorption plus efficaces ! (i.e. la lumière bleue “voyage moins loin” en quelque sorte). On voit donc qu’il y a ici une complexité liée aux différentes échelles auxquelles on considère le halo ;
La disponibilité de sources d’éclairage moins consommatrices en énergie et faciles à mettre en œuvre que représente la technologie LED produit un effet “rebond”, c’est à dire qu’elle pousse certaines collectivités et acteurs privés à sur-éclairer ;
Certains pays comme la France mettent en œuvre des politiques d’extinction en cœur de nuit sur de nombreuses communes. Or les satellites qui réalisent les observations nocturnes de radiance au sol passent en position anti-solaire (selon des orbites polaires dont le plan est dirigé sur le Soleil) et ils observent donc systématiquement des conditions de cœur de nuit. Si les extinctions sont nombreuses sur un territoire, la radiance observée en cœur de nuit peut être très inférieure à celle qui est réellement émise dans l’environnement nocturne en extrémités de nuit et cela peut donc amener à estimer de manière incorrecte la pollution lumineuse subie par ce territoire. Il est à noter que ce phénomène d’extinction en cœur de nuit n’est d’ailleurs pas mentionné dans l’article de Science alors qu’il induit clairement un biais sur l’évaluation de la pollution lumineuse à partir des données de radiance satellite.
On voit donc qu’il est difficile d’évaluer l’évolution de la pollution lumineuse en se basant uniquement sur les données de radiance satellite disponibles. Les mesures au sol, que ce soit avec une évaluation à l’œil nu du nombre d’étoiles visibles ou bien au travers de photomètres, sont nécessaires pour bien appréhender cette évolution.
Il est toutefois intéressant de comparer les données de radiance satellite à l’échelle d’une décennie et de voir quels enseignements peuvent en être tirés. Pour cela, il est possible d’utiliser les données de radiance satellite VIIRS/DNB VNL V2 (Voir le site de l’Earth Observation Group). Ces données présentent l’avantage d’être inter-calibrées et donc de permettre des comparaisons entre les années 2014 et 2021 (les données de radiance annuelles 2022 ne sont pas encore disponibles à ce jour). L’animation en-haut de l'article permet de comparer sur une grande partie de l’Europe la radiance satellite mesurée en 2014 à celle mesurée en 2021 (une version de l’animation en pleine résolution est disponible en cliquant sur l’image). Les seuils de visualisation sont les mêmes dans les deux images utilisées pour l’animation afin de permettre une comparaison significative.
Une juxtaposition des deux images (ci-dessous) permet de mieux comparer les différences de niveaux de radiance en un lieu spécifique entre les deux images de 2014 et 2021 (il suffit de faire bouger le curseur initialement positionné au centre de l’image avec la souris).
On peut remarquer un certain nombre de choses en comparant attentivement les deux images dans l’animation :
On constate d’une façon générale une forte augmentation de la radiance sur l’ensemble de l’Europe. C’est particulièrement vrai pour les pays à l’Est de l’Europe (Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Serbie, Bulgarie, Grèce) mais un peu moins marqué pour la parte Ouest de la Biélorussie ;
En Allemagne, en Italie et en Espagne l’augmentation est aussi nettement perceptible, ceci sur tout le territoire de ces pays (même si cette augmentation est moins marquée que pour les pays à l’Est de l’Europe) ;
Le Benelux reste relativement stable avec toutefois une légère augmentation de la radiance en certains endroits (mais ces pays connaissaient déjà en 2014 une situation très dégradée) ;
La France représente clairement un cas particulier puisque la radiance a nettement diminué entre 2014 et 2021. La radiance autour et dans les grandes villes décroît et certains îlots de radiance isolés s’atténuent fortement ou même disparaissent. L’explication tient certainement à plusieurs facteurs comme expliqué au début de ce blog : des extinctions en cœur de nuit, une amélioration des ULR et une conversion vers la LED qui induit un niveau de détection plus faible par les satellites (diffusion plus importante de la partie bleue du spectre et très faible sensibilité du détecteur VIIRS/DNB dans cette gamme de longueurs d’onde). Mais il est indéniable que l’extinction joue un rôle important dans cette diminution constatée de la radiance en cœur de nuit ;
Certains pays montrent des évolutions différentes selon les parties de leur territoire considérées. C’est le cas de l’Angleterre avec une augmentation à l’Est de Londres et dans la région East of England et une diminution sur plusieurs autres zones (région North East, comtés de Cornouailles et du Devon, etc.). L’augmentation est certainement liée à un développement important de l’éclairage privé et public alors que les diminutions apparentes de radiance sont très probablement à mettre sur le compte de la conversion aux technologies LED et de meilleurs ULR. Ce phénomène est aussi visible en Irlande et en Suisse ;
On observe sur le sud du Portugal et le Pays de Galles une diminution significative de la radiance. Or il est avéré que ces pays ont adopté des mesures d’extinction en cœur de nuit (voir par exemple More than half of Welsh street lights off or dimmed at night).
Il sera intéressant de surveiller l’évolution de la radiance sur la France en 2022 et 2023 puisque l’on s’attend à une pratique de l’extinction en cœur de nuit encore plus importante que dans les années précédente du fait de l’augmentation importante du coût de l’énergie. Cela aidera à mieux discriminer quelle est la part de l’extinction par rapport à la conversion vers les technologies LED dans la diminution apparente de la radiance satellite.