Pour réaliser ses études, DarkSkyLab a développé un logiciel appelé Otus qui permet de modéliser la pollution lumineuse produit par l'éclairage public sur un territoire. Otus est basé sur le modèle développé dans le cadre du logiciel Aigle (Michel Bonavitacola [1]) dans lequel on estime l'intensité des halos de pollution lumineuse en prenant en compte le nombre d'habitants des agglomérations considérées ainsi que différents paramètres d'ajustement. La limitation de ce modèle initial est qu'il considère toutes les agglomérations comme des sources à symétrie sphérique qui sont convoluées à l'aide d'une fonction isotrope. Otus traite ce problème à l'aide d'un modèle étendu qui prend en entrée soit des bases de données de sources lumineuses géolocalisés ainsi que leurs caractéristiques physiques quand elles sont disponibles, soit des données de radiance issues d'images satellites (NOOA VIIRS/DNB). Pour les sources lumineuses géolocalisées, chaque source discrète (associée par exemple à un lampadaire ou à un projecteur) est caractérisée en particulier par sa puissance et son ULOR (Upward Light Output Ratio). Pour les données de radiance, la résolution spatiale est moins fine que pour les sources gélocalisées (un pixel représente 750 mètres sur le terrain), mais les données sont disponibles facilement pour n'importe quel territoire. L'utilisation de ces deux types de données permettent de produire des cartes qui sont beaucoup plus en conformité avec la réalité du terrain.
Otus a été développé en Python 3 et il utilise les librairies numpy et matplotlib. Une interface graphique permet une utilisation simple des différentes fonctions et options du logiciel, en particulier en ce qui concerne la production d'isocontours dans un format lisible par des systèmes d'information géographique (SIG) et l'ajustement des niveaux d'éclairement des communes présentes dans les zones d'étude.
Les cartes produites par Otus présentent un dégradé de couleur proche de l'échelle de Bortle [2]). A chaque couleur correspond une niveau de qualité de ciel. L'unité de ces mesures est la magnitude par seconde d'arc au carré (mag/arcsec²), c'est à dire la brillance du fond du ciel dans un carré d'une seconde d'arc de côté. La couleur rouge indique une mauvaise qualité de ciel (< 19 mag/arcsec² environ) et le bleu foncé - gris une très bonne qualité du ciel (21,4 mag/arcsec² et au delà). La luminosité naturelle du fond du ciel, sans Lune, est en moyenne estimée à 21,6 mag/arcsec² et le niveau d'un ciel pur idéal serait de 24 mag/arcsec². La figure ci-dessous montre l'échelle de couleurs utilisée par Otus avec les intervalles correspondants de brillance du fond de ciel exprimés en mag/arcsec².

Toutes les cartes montrées dans cette page sont basées sur cette échelle de couleur.
[1] | Voir http://www.astrosurf.com/fea/dossier.htm ainsi que http://www.astrosurf.com/licorness/dossiers%20PDF/1998-vers%20un%20indice_de%20_qualit%E9.Bonavitacola.pdf |
[2] | Voir Echelle de Bortle |
Les modes de simulation du logiciel Otus
Le logiciel de simulation Otus développé par DarkSkyLab est capable de prendre en compte 3 types différents de sources de données: base de données d'agglomérations avec leur population, données de radiance satellite VIIRS/DNB, sources lumineuses discrètes géolocalisées. Le tableau suivant résume les sources de données utilisables par Otus et décrit comment elles permettent de traiter différentes problématiques : taille des territoires modélisés, modélisation de la couverture nuageuse, gestion des extinctions, etc.
[1] | Upward Light Output Ratio, qui représente la fraction du flux lumineux d’un lampadaire émis au-dessus de l’horizontale |
La valeur ajoutée du logiciel de simulation de la pollution lumineuse Otus réside dans sa capacité à s’adapter aux données disponibles et aux objectifs spécifiques des études menées. Une étude dans le cadre de la constitution d’une réserve internationale de ciel étoilé (RICE) nécessitera par exemple une connaissance détaillée de toutes les sources lumineuses du territoire (puissance, ULOR et type de lampe) et utilisera aussi la base de données des agglomérations avec leurs populations pour la prise en compte d’effets à longue distance. Une étude rapide d’un territoire à une échelle régionale avec une bonne prise en compte des éclairages privés pourra, quant à elle, s’appuyer sur les données satellites VIIRS/DNB.
La carte de pollution lumineuse ci-dessous a été produite par Otus à partir de données de radiance satellites VIIRS/DNB (carte annuelle 2015). Elle montre toute la région à l'Est de Lyon avec en particulier les villes de Genève, Annecy et Chambéry. On peut constater l’on prend bien en compte la topologie de toutes les agglomérations présentes dans la carte. Les données de radiance satellite présentent l'immense avantage de couvrir potentiellement l'ensemble de la surface de la Terre et de prendre en compte l'éclairage privé.

Prédiction de qualité du ciel nocturne
Le logiciel Otus permet de produire des cartes détaillées qui simulent la qualité du ciel nocturne et permettent d'évaluer l'impact de changements opérés dans la mise en place de l'éclairage public. A titre d'exmple, nous présentons ici une étude de la diminution de l'éclairage public dans 8 agglomérations à l'Ouest de la ville de Lourdes dans les Hautes-Pyrénées. La simulation est réalisée dans la zone d'étude avec des données de sources lumineuses géolocalisées qui sont disponibles le ville de Lourdes et ses environs.
Otus possède des fonctions d'importation qui dans notre exemple permettent de sélectionner les agglomérations autour de Lourdes : on définit une fenêtre en latitude / longitude autour d'un point donné, en l'occurence Lourdes. On obtient une liste de 40 agglomérations qui va constituer la zone d'étude. Les simulations dans la zone d'étude seront réalisées avec un modèle discret basé sur les données des points lumineux (par opposition à une simulation globale isotrope où les agglomérations sont considérées comme une source unique à symétrie sphérique). Le pas utilisé pour la simulation de la zone d'étude est de 20 mètres (0,02 km dans l'interface d'Otus ci-contre). | ||
Toutefois, la simulation de la pollution lumineuse de Lourdes et de ses environs ne peut pas être réalisée sans prendre en compte l'influence d'une zone beaucoup plus large autour de Lourdes. Les villes de Tarbes et Pau doivent en particulier être prises en considération car elles produisent une élévation significative de la luminosité du fond de ciel dans la région de Loudes. Le problème est qu'il est difficile de simuler une zone très large en utilisant un pas de simulation aussi faible que celui qui est nécessaire pour réaliser une simulation au niveau des sources lumineuses (de l'ordre de quelques dizaines de mètres). Otus résout le problème en utilisant un mode de simulation mixte: la zone d'étude est simulée avec un pas faible et la zone d'influence tout autour de la zone d'étude est simulée avec un modèle global isotrope et un pas plus élevé. Les villes de la zone d'étude sont exclues de la simulation de la zone d'influence, et les résultats des deux simulations sont combinés en ajustant la résolution des matrices obtenues du fait de la différence de taille des pas. Le résultat obtenu permet donc de prendre en compte l'influence des agglomérations à grande distance tout en conservant les bénéfices d'une simulation locale au niveau de sources lumineuses discrètes. |
Prise en compte de la couverture nuageuse
Lorsque l’on parle de pollution lumineuse, il est courant de se focaliser uniquement sur des estimations de brillance du fond ciel par temps clair. Cette tendance peut probablement être expliquée par le fait qu’initialement ce sont les astronomes qui se sont principalement intéressés à la mesure de la pollution lumineuse. Cette approche apparaît aujourd’hui extrêmement réductrice à plusieurs titres. Tout d’abord, la présence de nuages amplifie fortement les halos de pollution lumineuse à proximité et dans les agglomérations. Il n’est pas rare en particulier de constater une amplification d’un facteur 10 ou plus des niveaux de luminosité de fond de ciel dans les grandes villes en présence de nuages ou de brouillard. De plus, les impacts écologiques de la pollution lumineuse sont maintenant avérés et leur amplification par les nuages induit des effets encore mal connus (et probablement largement sous-estimés) sur les espèces animales et végétales.
Le logiciel Otus possède une fonction qui permet de produire une carte de pollution lumineuse prenant en compte la présence d’une couverture nuageuse (ciel couvert à plus de 95%). Cet accroissement est calculé en se basant sur la corrélation mesurée entre les brillances obtenues par ciel clair et celles obtenues par ciel couvert et ce sur des sites plus ou moins impactés par la pollution lumineuse. Il est en effet essentiel de faire des mesures dans des lieux variés étant donné que l’accroissement de brillance du fond de ciel par ciel couvert est d’autant plus important que le site est pollué. Au contraire, sur des sites peu pollués, la présence de nuages peut assombrir un peu plus le ciel.
La carte à gauche ci-dessous montre le résultat d’une simulation Otus du PLVG (Pays de Lourdes et des Vallées des Gaves, carte produite suit au diagnostic réalisé en 2014-2015) dans le cas d’un ciel clair et celle de la figure de droite montre la même zone mais simulée cette fois-ci par ciel couvert.![]() | ![]() |
Simulation du territoire du Pays de Lourdes et des Vallées des Gaves (PLVG) avec un ciel clair | Simulation du PLVG par ciel couvert |
La différence est frappante, et, comme attendu, la présence de nuages provoque un fort accroissement des niveaux de NSB à proximité des agglomérations. Les zones qui étaient déjà sombres dans la simulation par ciel clair, quant à elles, deviennent encore plus sombres avec la présence des nuages.
Comparaison des résultats de simulation avec des mesures de terrain
Il est important de vérifier que les résultats de simulation produits par le logiciel Otus sont bien en conformité avec des mesures réalisées sur le terrain, par exemple à l'aide d'un Sky Quality Meter (SQM). Cette comparaison reste délicate dans la mesure où de très nombreux paramètres entrent en compte dans les mesures SQM : qualité du ciel (en particulier en termes d'humidité et d'aérosols), reliefs locaux, présence d'arbres, influence de la température, cohérence des mesures entre des instruments SQM différents, extinction totale ou partielle de l'éclairage public des agglomérations au moment des prises de mesure, etc. Mais il faut malgré tout identifier une cohérence dans la comparaison et pourvoir expliquer les différences les plus importantes que l'on peut constater.
Des dizaines de mesures ont été effectuées dans le cadre de plusieurs études dont celle du PLVG (Pays de Lourdes et des Vallées des Gaves) lors du diagnostic réalisé en 2014-2015. Ces mesures ont permis de valider le modèle utilisé et d'ajuster certains paramètres.
A titre d'exemple, quelques mesures ont été réalisées à l'automne 2016 dans le Parc National des Pyrénées et le Parc Naturel Régional des Pyrénées Ariégeoises dans le cadre de la préparation d'une campagne plus importante à venir.
10 sites ont faits de l'objet de mesures selon une méthodologie appropriée (pas d'éclairage direct, mise en température du SQM, visée au zénith, 3 séries de prises successives). Sur certains de ces sites, deux mesures ont été effectuées à faible distance. La carte ci-dessous montre les positions des 10 sites retenus et les valeurs SQM relevées.
Une simulation Parc National des Pyrénées et du Parc Naturel Régional des Pyrénées Ariégeoises a été réalisée avec le logiciel Otus en utilisant les données lampadaire rassemblées dans le cadre du projet ADAP'TER (voir le paragraphe modèle de simulation pour le PNP/PNR-PA).
La figure ci-dessous montre les résultats obtenus (cliquez sur les imagettes au-dessus pour en obtenir une vue plus détaillée) :

La simulation est cohérente avec les mesures sauf potentiellement pour les cas p005 et p006. Une analyse des conditions de mesure permet d'expliquer ces deux cas :
- La mesure SQM p005 devrait normalement être un peu plus basse car elle a été réalisée très près des villages de Bedous et de Osse-en-Aspe (à moins de 1500 mètres). On a pu vérifier que les lampadaires d'un ou de deux de ces villages étaient en grande partie éteints au moment des mesures à 2h30 du matin.
- La mesure SQM p006 devrait elle aussi être un peu plus basse, mais il a été possible d'expliquer cette différence. Il s'agit d'un site à 3 km du Mas d'Azil et le relevé a été fait au milieu des bois. Du fait de l'activité touristique de cette agglomération, la population de lampadaires est probablement développée. A 23h30, heure des mesures, il est probable que la puissance ait déjà baissé ou que tout l'éclairage public n'était pas activé. De plus, le point de mesure est séparé du Mas d'Azil par une grosse colline boisée. Une meilleure prise en compte de la végétation et de la topologie du terrain constitue d'ailleurs un des axes d'amélioration à venir.
Un petit biais est aussi observé pour les mesures p001 et p003/p004 sur la droite du diagramme (le bleu le plus sombre devrait correspondre à un niveau SQM un peu plus élevé). L'explication est liée à la présence de reliefs d'obstruction et aussi au fait que les nuits étaient différentes en termes de qualité du ciel (humidité et aérosols).
Visualisation de la géolocalisation des points lumineux
Le modèle de simulation étant basé sur la prise en compte de points lumineux géolocalisés, Otus a la capacité de produire des fichiers de données et des shapefiles SIG qui s'intègrent directement dans les logiciels SIG tels que QGIS et Google Earth.
![]() | Cette image montre par exemple la géolocalisation des lampadaires au sud de la ville de Cauterets dans un logiciel SIG. La couleur de chaque implantation dépend de la puissance du point lumineux: vert si moins de 100W, jaune si moins de 200W, orange si moins de 300W et rouge au delà. | |
![]() | Il est bien sûr possible de superposer la géolocalisation des sources lumineuses sur les cartes produites par Otus, et on constate facilement un très bonne correspondance entre l'implantation des sources lumineuses les plus puissantes et l'origine des zones qui ont le plus d'impact sur la qualité du ciel. | |
![]() | Sur cette image, la géolocalisation des points lumineux est appliquée sur une carte 3D Google Earth. Le gros intérêt de cette approche est qu'il est possible de faire varier les angles de vue pour obtenir une visualisation très fine de la distribution des sources avec leurs puissances associées. | |
![]() | Cette image est obtenue depuis le même point de vue que la précédente, mais on a superposé la carte de prédiction de qualité de ciel produite par Otus. |
La vidéo ci-dessous montre une navigation dans une carte Google Earth 3D sur laquelle on a appliqué à la fois une carte de prédiction de qualité du ciel produite par Otus et une couche qui contient la gélocalisation des sources lumineuses utilisées pour alimenter le modèle de simulation. La vidéo commence par une vue rapprochée des rues de Lourdes (on notera la couleur rouge du fond de carte qui témoigne d'une qualité de ciel dégradée dans l'échelle de couleur utilisée par Otus) puis on se déplace dans la vallée des Gaves.